dimanche 16 septembre 2012

Claro : Tous les diamants du ciel

Antoine aurait pu prier, ici aussi. Il découvrait tant de choses au fil des magazines, à même ces pages où l'on s'agenouillait à chaque cliché, où la soumission était glorifiée, répétée, dans un dénuement charnel qui semblait appeler les dalles glacées et la respiration rauque de l'orgue. Bras en croix, bouches tordues, peaux flagellées, regards absents : si les positions n'étaient guère orthodoxes, leur mise en scène dénotait l'extase. Sous les yeux d'Antoine, sans souci de légendes, s'activaient des hommes et des femmes comme urgemment désapés puis jetés dans cet éden de papier glacé, plus glabres que les ombres mêmes d'Adam et Ève, des agités fixes en proie au démon de la concorde mais baignant dans la lumière artificielle du pardon, à deux, trois voire plus, avec bien souvent pour seul décor l'assise inutile d'une chaise en plastique plus galbée que la sybarite honorée par deux partenaires moustachus, ou un vaste canapé rouge et pelucheux, aux accoudoirs détournés de leur usage premier.



Le récit commence dans la commune de Pont Saint-Esprit ; Antoine, Mitron, façonne sans le savoir la fournée de "pain maudit" qui intoxiquera toute sa commune. Bientôt donc, hallucinations, internements...
Ergot de seigle ? Intervention extérieure ? Prélude, en tous cas, à une épopée autour de l'hallucinogène.
Pour autant, simple roman sur le LSD ? Non, la phrase leitmotiv "c'est tout autre chose" nous en donne l'indice : il serait vain de chercher dans ces pages du sensationnalisme, de la donnée clinique ou du témoignage vaporeux. Pas de Flash ni d'Herbe bleue ici.
L'histoire s'étend de 1951 à 1970, et reprend quelques pans de l'Histoire du XXème, là où son précédent roman, CosmoZ, l'avait suspendue. Expérimentations nucléaires dans le désert Algérien, libération sexuelle et foire au sexe de Copenhague, lune déflorée, C.I.A fébrile en temps de guerre froide...
On y croise, outre Antoine, une Lucy Diamond (well, not my real name...), un inquiétant Wen Croy, et surtout une forêt dense de métaphores imbriquées.
Car c'est une lecture qui échange pas mal de concentration (oui, elle le demande, ne se livre pas facilement) contre une délectation qui se déploie et se renouvelle de page en page. Trouvailles langagières, expressions défigées, images inédites : c'est un festival. La structure est solide (VI chapitres contenant chacun trois sous-chapitres, sur les noms desquels on s'attardera...), et la mélancolie affleure (gageure : sans nous plomber).
Prenons par exemple cette balade dans Paris en 1969, dans laquelle nous sommes entrainés chapitre III-1 : à grand renfort d'exclamatives, s'imbriquent mouvement, lexique mortuaire, interpellation du lecteur, phrasé haché, enthousiasme de la balade, dropping de différents symboles de l'époque. Terre de contrastes, comme on le dit pour les interventions de "Connaissance du monde" ? Certes, et une fois de plus, pas que.

Après avoir retardé l'imminence  de la dernière page, on se surprend à flâner dans la table des matières qui n'a peut-être pas encore tout dit, avant de re-feuilleter les premières pages. On en voudrait plus. On en a déjà eu énormément. Bref, superbe.


D'autres extraits lisibles : 

Avec en prime, quelques mots de Claro sur sa dernière fournée :


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