mardi 4 décembre 2012

Mahigan Lepage - La Science des Lichens - Publiepapier

[...] au Jardin des Plantes il y a surtout des familles et des nuées d'enfants criards et surexcités, au jardin des plantes ça dévale les allées de gravillons en formation groupée, pendant ce temps moi je regarde mes lichens, les spores, les feuilles, les thalles, la pigmentation et le reste, non que ça m'intéresse à proprement parler, je vous l'ai déjà dit, je m'en fous du lichen, en tout cas je me fous du lichen comme objet d'études, j'ai accepté d'étudier le lichen seulement parce qu'il y avait des bourses dans le secteur lichénologique, pas parce que le lichen m'intéressait particulièrement, je m'en foutais du lichen, mais tout de même, à la longue, à l'usure comme on dit, j'en suis venu à développer un genre d'obsession du lichen, à force de lire sur le lichen, et de voir des photos de lichen, et de gratter le dos des thalles de lichen, j'étais devenu obsédé du lichen, oh faut pas croire, je détestais le lichen à en mourir, il me dégoutait, il m'écoeurait au plus haut point, cet hybride, ce bâtard, ce croisement d'un champignon et d'une algue, ou d'un champignon et d'une bactérie, il me dégoutait, ce monstre, j'imaginais deux êtres gluants lubriquement emmêlés, et trouvant dans cette union monstrueuse leur bénéfice réciproque, à quel prix je me disais, survivre d'accord, mais à quel prix, bref le lichen m'horripilait [...]

 Mahigan Lepage, La Science des Lichens, 2012, Publie.papier, p.28

          Il revient, en train, de l'aéroport. Il revient du Maroc, soûlé par les paroles, peut-être par les présences, il revient avec les oreilles et la tête pleine. Il demande VOTRE ATTENTION, S'IL VOUS PLAIT, et se lance dans un récit-phrase, qui ne trouvera son unique point qu'une bonne cinquantaine de pages plus loin. Il ? 
Mahigan, l'auteur, actuellement en vadrouille (Asie), n'a jamais fait mystère de ses voyages au Népal, puis au Maroc, ni de sa thèse, notamment écrite à paris. Analogies évidentes avec notre narrateur. On serait tenté effleurer les questions d'autobiographie, d'autofiction... et puis non.
Parce qu'il y a plus troublant, dans ce court récit : le plaisir de lecture. Cette phrase qui fuse, que l'on a l'impression de rattraper à la lecture, avant qu'elle ne nous distancie encore, cette phrase, on veut la terminer, à tout prix. Dans l'idéal, il faudrait un voyage, justement, pour une lecture ininterrompue. On se demande un bref instant comment ça peut tenir debout, ce récit d'une seule phrase qui nous parle de notre époque, de l'impossibilité de l'exotisme, du tourisme qui a gagné, des amours fugaces et des lichens. On ne se le demande pas longtemps, on veut la suite et on avale les pages, peut-être déjà contaminé par cette urgence de dire qu'on se prend, volontairement, en pleine tête.
On peut retrouver Mahigan Lepage sur son site, le dernier des Mahigan.


*** 



On profitera de ces quelques paragraphes pour rappeler à la fois la vitalité et la précarité de la double maison Publie.net et Publie.papier. 

Rappelons donc que, pour le versant papier de la maison (Impression à la demande, votre libraire vous le commandera ; via WEB ça marche aussi très bien), l'achat d'un livre vous offre la possibilité de télécharger le même titre en numérique, format au choix. 
Rappelons que pour le versant numérique, chaque titre est téléchargeable (prix modique, sans DRM) indépendamment, et qu'existe une possibilité d'abonnement (95 euros/an, téléchargement et consultation sans limite d'un catalogue de près de 600 ouvrages).

Le catalogue est d'importance, réjouissant, pointu, exigeant, roboratif et enthousiasmant.


(C'est sur ce même site qu'on a, pour la bonne cause, piqué l'illustration puplie.papier ci-contre.)





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