dimanche 27 janvier 2013

Lecture : J'ai été Robert Smith, Daniel Bourrion

et puis un soir en faire une chose ébouriffée qu’on essayait de faire tenir à force de gels de sucre et d’eau à force de bras aussi qui remontaient les peignes des pointes à la racine manière de mettre le désordre dans les mèches brunes d’habitude mollement tombantes sous leur propre poids, qu’on s’imagine cette folie toute relative mais folle quand même qui se déroula dans la cuisine familiale peu habituée à ce genre de performance, qu’on s’imagine la suite et l’effondrement de la fragile structure dans une débâcle qui accompagna au diapason toute la soirée, à croire que ce n’était pas le jour pour échanger sa peau sa vie avec celle d’une star, qu’on s’imagine ça et qu’on comprenne qu’il y avait là une sorte de rêve fou et d’absurdité totale dont on n’avait pas le moins conscience, certain alors que c’était par là que se ferait la sortie de la vallée et de la terre aux sillons hauts dont on voulait tant s’échapper sans deviner encore (ironie de notre sort à tous qui oublions toujours que nous emportons intégralement partout où nous courons la sorte de valise molle que nous nous sommes) qu’on emmènerait partout où l’on irait cette vallée, certain que c’était par là, donc, en devenant soi-même ce Robert Smith cathodique et médiatique et donc rock-star et donc autre chose qui de là, de la vallée, semblait éminemment enviable, qu’on trouverait un ailleurs habitable où l’on pourrait vivre, qu’on s’imagine ça et cela suffira.

Daniel Bourrion, J’ai été Robert Smith 2012, éditions publie.net


     Un Je me souviens qui s'étire, phrases tentaculaires.
C'est samedi soir, quelque part ou ailleurs dans la campagne, il a choisi d'être Robert Smith, d'incarner et de vivre l'idole, dans une de ces fêtes où l'on se rend, jeune conducteur, en voiture bringuebalante. Gel et sucre dans les cheveux, yeux charbonnés, il passe le videur.
De cette soirée-là, en saurons-nous énormément ? Du rôle du souvenir dans la construction d'un être, certainement un peu plus.
     Le court récit se découpe en huit chapitres ( Une nuit au moins ; Idole ; K7 ; Tracteur ; Videur ; Backstage ; Ersatz ; Crassier ), qui nous parlent, belle sincérité, de l'éventualité d'être grotesque dans cette tentative de construction de soi par le truchement d'une autre identité, et aussi de la possibilité, peut-être manquée, d'être sublime lorsque l'on va au bout. Sans étiquette Vintage, Daniel nous plonge dans une adolescence années 1980, mélancolie, glandouille en internat et Walkman inclus.
Le ton se veut factuel, ni glorification, ni misérabilisme. L'écriture est un flot, une apparente recherche-hésitation, une urgence de dire, une parenthèse biographique. Inévitablement, cette confession sans sensationnalisme tend vers le lecteur son miroir - le moins déformant possible -.
Identité, donc :  qui d'autre que moi ai-je été, qui d'autre que moi suis-je encore ?
Comment ça peut marquer autant, un si court et si simple récit ?
 


Illustration : couverture de l'epub - Photo de couverture ADAPTÉE DE L'ILLUSTRATION SOUS CREATIVE COMMONS : © MEDIODESCONOCIDO  // Roxane Lecomte

 

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